DeepL sur la sellette

Fenêtre de traduction DeepL

Dans notre dernier article de blog, nous avons brièvement abordé le thème des solutions automatiques qui s’efforcent de remplacer le traducteur. Cette fois, nous avons l’intention de vérifier en détail si la réputation de DeepL en tant que « better than Google Translate » et « so good » est justifiée. Nous allons donc de ce pas mettre DeepL sur la sellette. Nous avons compilé des passages choisis en français et en néerlandais pour les soumettre à l’outil (version gratuite). Force est de constater

qu’une grande partie des textes a été convenablement traduite dans la langue cible. DeepL ne perd pas systématiquement le nord face à des expressions ou un langage imagé. Il réussit même dans une certaine mesure à reformuler du contenu et à produire des phrases cibles dont l’ordre des mots est chamboulé pour un résultat idiomatique.

L’outil présente toutefois çà et là de (sérieuses) lacunes. Un réviseur ou traducteur professionnel ne manquera pas de repérer ces erreurs. Cependant, si vous utilisez cet outil pour justement faire l’impasse sur ces professionnels, votre texte cible risque fort de ne pas refléter le fond de votre pensée. Nous avons rassemblé quelques exemples pour illustrer où et comment les choses peuvent mal tourner.

Exemple 1 : « een stapje verder »

L’erreur se produit avec « een stapje verder komen », qui est traduit par « avoir une longueur d’avance ». Alors que le néerlandais parle d’évolution, le français énonce un acquis. Et le résultat se confirme lorsque vous retraduisez la phrase en sens inverse avec DeepL (une technique également utilisée par des traducteurs humains en formation, par exemple, afin de vérifier si la traduction est correcte).

Les Zoom et DeepL de ce monde affichent tout à coup une longueur d’avance sur les traducteurs et interprètes humains, affirmation qui ne figurait absolument pas dans le texte source. Le lecteur francophone qui ne se baserait que sur la traduction DeepL, recevrait donc un message radicalement différent de celui du lecteur néerlandophone.

Exemple 2 : peut/pourrait nous surprendre

Cette fois, DeepL traduit « zal ons wellicht nog verrassen » par « peut encore nous surprendre ». Là où le néerlandais tente de soulever un coin du voile du futur et de jouer les Madame Soleil en prédisant que DeepL pourrait sans doute encore nous surprendre, le texte en français affirme que DeepL peut encore nous surprendre. La perspective de cette affirmation est plutôt ancrée dans le passé, ce que reflète également la traduction en sens inverse.

Une fois de plus, les lecteurs francophone et néerlandophone se voient délivrer un message radicalement différent.

Exemple 3 : trois défauts

Trois constatations dans le passage suivant :

  • Le début de la phrase est purement et simplement ignoré. Il faut croire que les informations concernant le journaliste américain sont superflues pour le lecteur néerlandophone !
  • Traduction pauvre de « la capacité collective d’un groupe » : si la traduction transparente existe en effet, un néerlandophone parlerait-il spontanément de « collectieve capaciteit van een groep » ?
  • Le titre en français est convenablement remplacé par le titre d’origine.
  • « Les plus fins connaisseurs » est traduit par les « best geïnformeerde ». Un connaisseur, ce n’est pas la même chose qu’une personne bien informée.

Que constatons-nous en repassant la traduction en sens inverse ?

  • Le début de la phrase est évidemment resté aux oubliettes.
  • La « capacité collective d’un groupe » est correctement restitué. Cela dit, l’objection ne concerne que le néerlandais non-idiomatique de la traduction.
  • Le titre reste en anglais alors que les francophones préfèreraient le voir traduit.
  • « Les plus fins connaisseurs » a disparu : il faut donc se contenter des « mieux informés », ce qui n’était pas le propos de l’auteur.

Exemple 4 : la différence est de taille

Dans la phrase suivante, le bât blesse au niveau de « correspond presque (…), à une livre près », qui est traduit par « bijna exact overeenkomt (…), tot op een pond nauwkeurig ». Ce n’est pas ce que l’auteur avait constaté. Il avait observé que la médiane est erronée d’une livre.

D’où vient l’erreur ? « À une livre près » ne veut pas dire la même chose que « à la livre près ». L’un se traduit par « op een pond na », le second par « tot op een pond nauwkeurig ».

Paradoxalement, DeepL sait parfaitement que « tot op een pond nauwkeurig » se traduit par « à la livre près ». Voyez vous-même dans la traduction en sens inverse ci-dessous.

Exemple 5 : ne prenons pas tout au pied de la lettre

Deux glissements se produisent dans l’exemple ci-dessous :

  • « le plus grand nombre » est une formulation quelque peu recherchée pour « de grote groep ». Il n’importe pas forcément que le nombre soit le plus grand ; par ailleurs, cette formulation littérale ne viendrait pas spontanément à l’esprit d’un néerlandophone.
  • « Est à l’origine de » subit un appauvrissement et devient « neemt ». Si la traduction restitue effectivement la signification du texte source, le vocabulaire plus recherché de l’auteur (notre collègue Guillaume Deneufbourg) est totalement perdu.

Voici ce que l’on constate en tentant une traduction en sens inverse :

  • Le premier constituant revient correctement, le problème concernant cela dit uniquement le texte non idiomatique en néerlandais.
  • « Être à l’origine de » cède la place au banal « prendre ».

Exemple 6 : une petite nuance de taille

La différence se cache parfois dans des petits riens. Les traducteurs ne le savent que trop. Nous le constatons dans l’exemple suivant :

  • « Opnieuw vormgeven » ne signifie dans ce cas pas redessiner comme la traduction en français le suggère, mais plutôt que vous pouvez modifier l’agencement du canapé existant.
  • L’encadrement est fin et rembourré et non pas finement rembourré. DeepL ne prend pas en compte la virgule, qui fait pourtant toute la différence. Erreur remarquable puisque reposant sur une règle linguistique. En présence d’une règle, l’on pourrait s’attendre à une meilleure prestation de la part du système.
  • Un francophone traduira spontanément « bankprogramma » par « gamme de canapé » plutôt que par « programme ».
  • Le mot « afmetingen » est à prendre dans le sens de « dimensions » et non de « tailles ».

Jetons un œil sur la traduction en sens inverse.

  • « Aangepast » est bien plus général que « vormgegeven », il s’agit donc d’un appauvrissement sémantique.
  • La virgule entre fin et rembourré brille bien entendu par son absence.
  • Le « bankenprogramma » refait son apparition, mais ce problème concerne surtout le français non idiomatique.
  • « Afmetingen » laisse en toute logique la place à « maten », puisque la traduction contient « tailles » au lieu de « dimensions ».

Exemple 7 : comment DeepL s’y prend-il avec « anderskleurige draad » ?

Dans l’exemple ci-dessous, l’auteur joue avec le constituant « loopt als een rode draad doorheen ». Comment DeepL va-t-il l’appréhender ? La plateforme va-t-elle en outre trouver une traduction élégante pour « in bed duiken » ?

Si DeepL ose parfois modifier l’ordre des mots, ce n’est cette fois pas le cas. Nous avons donc droit à un « est un fil + les couleurs » vide de sens. Y a-t-il dans la salle un traducteur avec une proposition de traduction plus idiomatique ? « In bed duiken » devient tout bêtement « aller se coucher ». Enfin, DeepL trébuche sur un obstacle inattendu : la « zwoele avond » devient « étouffante ». Le lecteur néerlandophone sera plutôt enclin à espérer une telle soirée et y verra une connotation romantique ou intime, alors que le lecteur francophone s’empressera de regarder s’il y a des climatisations en promotion.

Que reste-il du texte source après avoir passé la traduction dans DeepL ? Refait-il surface ?

Le jeu de mots a été réduit à néant, perdant finalement tout son effet. Soirée sensuelle ou pas, il ne reste plus qu’à sagement aller se coucher. Circulez, il n’y a rien à voir.

Exemple 8 : plus terre-à-terre, mais à nouveau une grosse erreur

Mais qui va donc se réunir ? En néerlandais, il existe deux interprétations grammaticales possibles : les secrétaires avec l’expéditeur du courriel, ou les secrétaires entre eux. En contexte, il semble logique que l’expéditeur souhaite se joindre aux secrétaires. En français, l’infortunée personne est royalement ignorée : seuls les secrétaires participent à la réunion.

Contre toute attente, DeepL ne déniche pas le terme consacré pour « eisenbundels », bien que le contexte réfère clairement au domaine des syndicats (cahiers des revendications).

Nous craignons le pire pour la contre-traduction…

La première lacune n’est problématique qu’en français, alors que la seconde ne donne pas le terme consacré, comme on pouvait s’y attendre.

Exemple 9 : les omissions, quel chantier !

Les problèmes suivants se présentent dans l’exemple ci-dessous :

  • « As-built » doit être conservé, il se rapporte à des schémas spécifiques. La traduction en sens inverse permet de constater quels glissements de sens résultent du fait que ce terme a été traduit.
  • Ne pas confondre « numéros de locaux » et « noms de locaux » avec « numéros locaux » et « noms locaux ».
  • « Legende gebruikte symbolen » veut en fait dire légende des symboles utilisés.

Il suffit de regarder la traduction en sens inverse pour se rendre clairement compte des problèmes engendrés.

Exemple 10 : appauvrissement, nivellement – quand la langue perd son éclat

En paraphrasant le texte : si DeepL est souvent exact, il ne brille pas pour autant par sa justesse.

Exemple 11 : juridique ronflant et complexe, DeepL carrément à la masse

Nous grinçons des dents devant :

  • « Houder » d’un monopole ? Voyons, DeepL, vulgariser ce texte n’est pas un choix très heureux, mieux vaut conserver sa complexité.
  • Des exigences de qualités (sic), découlant de… : vanwege ? Hm, pas exactement.
  • Grammaticalement, « mais également qu’il se soumette » ne peut se rapporter qu’à « il en découle que ». En néerlandais, il faut donc traduire dans le sens « que » et non dans le sens « parce que ».

Pour être honnête, la phrase d’origine est plutôt bancale. Dans de telles situations, un traducteur commencera par désembrouiller les éléments en se basant sur son expérience, le contexte élargi et d’autres indices. Ou il interrogera l’auteur pour découvrir quel était le fond de sa pensée.

Conclusions – pour les non-traducteurs

L’un dans l’autre, nous pouvons constater que tout n’est certainement pas à jeter dans les traductions DeepL. Si vous soumettez un texte neutre et banal à la plateforme, il y a fort à parier que la traduction soit relativement, voire totalement correcte, bien que le risque persiste que DeepL se plante lamentablement sans que vous ne vous en aperceviez. Vous ne pourrez cependant en avoir la certitude qu’en confiant la traduction à un traducteur/réviseur qui passera le résultat au peigne fin.

Dès que vous faites preuve d’un tant soit peu de créativité ou rédigez une explication technique complexe, le risque de voir se perdre la signification de votre texte dans la traduction augmentera de façon exponentielle. Les manquements de DeepL peuvent en effet totalement en dénaturer la signification. Impossible donc de se contenter de DeepL, à moins que les erreurs ne vous dérangent pas, bien sûr.

Parfois, le résultat sera correct, mais sans plus, plat et monotone. Comme le souligne à très juste titre notre collègue Guillaume Deneufbourg, la langue produite par DeepL s’appauvrit, ce qui est cohérent avec le principe sous-jacent de l’outil.

Conclusion – pour les traducteurs

L’outil représente-t-il une plus-value pour les traducteurs ? Il faudrait réaliser une étude structurée et systématique pour vérifier à quel point les traductions DeepL peuvent, après révision, atteindre le niveau de traductions humaines révisées. Ou pour vérifier comment le réviseur appréhende une traduction DeepL (il faudrait dans ce cas soumettre les traductions DeepL tant ouvertement qu’en aveugle, pour identifier d’éventuels préjugés).

À première vue, DeepL ne semble pas être en mesure de faire une différence de taille pour le traducteur professionnel. Ce dont un traducteur est surtout friand, ce n’est pas la partie que DeepL est capable de pondre virtuellement de manière rapide et relativement correcte. Ce sont les trouvailles créatives qui demandent à être longuement ruminées, précisément les morceaux de texte avec lesquels DeepL se plante tristement.

Tout bien considéré : DeepL est un chouette passe-temps. Tout non-initié à une langue qui pense pouvoir comprendre ou restituer le contenu d’un texte source avec une traduction DeepL, se berce de douces illusions. Pas totalement, certainement pas. Plutôt pour les 20 à 25 % qui font justement toute la différence.

Marie Hélène de Cannière

Author: Marie Hélène de Cannière

Marie Hélène est employée chez Eloquentia en tant qu'interprète, traductrice et Business Developer. Elle combine un master en traduction, un MBA en Marketing Management, un doctorat en sciences économiques appliquées et un postgraduat en interprétariat de conférence.